ANTIQUE (DROIT)

ANTIQUE (DROIT)
ANTIQUE (DROIT)

L’histoire des droits antiques du monde méditerranéen, à l’exception du droit romain, s’échelonne sur plus de deux millénaires, depuis les fragments du code sumérien d’Ur-Nammu (env. 2080 av. J.-C.) jusqu’aux documents papyrologiques de l’Égypte lagide (IIIe-Ier s. av. J.-C.). L’histoire connue des sociétés dans lesquelles ces droits se sont appliqués, qu’il s’agisse de l’Égypte ou de la Mésopotamie, remonte au IIIe millénaire avant notre ère. La diversité de ces sociétés, de leur niveau de civilisation, de leur mode de vie était trop considérable pour qu’un droit uniforme puisse se développer dans tous les pays du pourtour de la Méditerranée. On ne saurait parler d’un droit antique et il serait vain de tenter une impossible synthèse de tendances parfois contraires. Il ne faut cependant pas méconnaître la possibilité d’influences d’un système juridique sur un autre. L’archéologie confirme de plus en plus la fréquence et l’importance des échanges à toutes les époques de l’histoire du monde méditerranéen antique, et l’histoire de l’art en donne de multiples témoignages.

Il faut, d’autre part, observer qu’à une même époque le droit des divers pays présente de profondes différences qui tiennent de l’inégalité des niveaux de civilisation et du développement économique. C’est ainsi que le droit babylonien des obligations est infiniment plus développé au XVIIIe siècle avant notre ère que ne le sera le droit athénien du VIe siècle ou le droit romain du IVe siècle avant J.-C. La chronologie ne présente donc qu’une valeur relative. La comparaison doit être faite non pas entre les divers droits à une même date, mais en fonction du niveau des civilisations.

Quel que soit ce niveau, quels que soient l’affinement intellectuel et l’habileté juridique du peuple envisagé, aucune des sociétés du Proche-Orient ou de la Grèce n’est parvenue à édifier une construction juridique, à dégager des concepts abstraits fondamentaux, à proposer une systématisation, bref à élaborer une science du droit. Toutes eurent des législateurs, des juges, des praticiens, rédacteurs d’actes ou conseillers des plaideurs. Mais elles ne connurent pas de grands jurisconsultes et elles ne nous ont laissé aucune œuvre de doctrine juridique, genre qu’il ne faut pas confondre avec les traités de philosophie du droit que les Grecs n’ont pas ignorés. Cette déficience n’est pas surprenante en Mésopotamie, car aucune des techniques portées à un haut degré par les praticiens de ce pays (astronomie, géométrie, etc.) n’est parvenue à se constituer en science, avec des principes, des modes de raisonnement, des règles. Le droit n’a pas échappé à cette déficience. On peut être plus surpris d’une pareille lacune en Égypte, où il existe une littérature de sagesse importante, et plus encore en Grèce, où la pensée philosophique atteignit un niveau remarquable. Logique, dialectique, rhétorique auraient pu fournir les concepts, les définitions, les modes de raisonnement nécessaires à l’élaboration d’une science du droit. Il appartiendra à Rome de l’élaborer. Cette supériorité fera du droit romain le modèle et la source d’inspiration de la plupart des droits modernes. Or, Rome n’a pu construire sa science du droit qu’en utilisant la pensée philosophique grecque. Ainsi l’admirable outil forgé par la Grèce, mais négligé par ses juristes, permit à Rome d’occuper la première place dans la science du droit. Il faut cependant observer qu’à l’époque où s’élabora la jurisprudence classique romaine (Ier s. av. J.-C. - IIIe s. apr. J.-C.) la doctrine juridique hébraïque brilla elle aussi d’un vif éclat. Aucun lien d’ailleurs n’existe entre ces deux mouvements.

Notre connaissance des droits antiques est naturellement très inégale. Selon les pays et les époques. Elle est rarement satisfaisante. Mais elle s’est prodigieusement enrichie depuis une cinquantaine d’années grâce aux fouilles archéologiques qui ont fait connaître des «codes» ou des fragments législatifs d’époque très ancienne et des milliers d’actes de la pratique (conservés surtout sur des tablettes d’argile recouvertes de signes cunéiformes ou sur papyrus). Il n’est guère d’année où notre information ne s’enrichisse de quelques documents importants. Mais selon le hasard des fouilles ou le déchiffrement de documents conservés depuis longtemps dans les dépôts des musées et des bibliothèques, c’est un aspect particulier du droit d’un pays ou d’une époque qui nous est révélé. C’est pourquoi notre connaissance des institutions juridiques reste pour chaque pays incomplète. On ne saurait, sans commettre une grave erreur de méthode, combler les lacunes de notre information par ce que l’on sait du droit d’autres sociétés antiques ou d’une autre période de la même société. Loin d’être uniformes, les droits antiques affirment leur individualité, et celle-ci interdit de transposer ce que l’on sait de l’un pour combler les lacunes que l’on constate dans un autre. Il ne serait pas moins imprudent de restituer un certain stade d’évolution juridique en transposant ce que l’on sait d’un stade estimé identique d’un autre système juridique. Car il n’est nullement établi que toutes les sociétés passent par les mêmes étapes d’un «développement» juridique, dont les «phases» resteraient à établir. C’est chaque société qu’il faut envisager séparément.

On se bornera ici à l’étude des sociétés qui ont laissé le plus de documents juridiques, à l’exception, d’ailleurs, de la société romaine (cf. droit ROMAIN). On insistera particulièrement sur les périodes pour lesquelles ces documents sont les plus abondants et sur tous les points qu’ils mettent particulièrement en évidence.

1. L’Égypte

L’histoire de l’Égypte est connue à peu près sans interruption depuis le début du IIIe millénaire avant notre ère. Durant cette longue période, l’Égypte a connu des périodes de monarchie puissante et centralisatrice, d’autres au contraire d’affaiblissement du pouvoir royal, parfois de dynasties parallèles et de morcellement de l’autorité dans une sorte de féodalité. L’activité économique et les structures sociales, parfois même familiales, ont subi les contrecoups de ces alternances politiques. À partir du VIIe siècle avant J.-C., l’Égypte passe sous la domination successive des Assyriens (671-663), des Perses (525-332), d’Alexandre (322-323). Elle retrouve son indépendance, mais sous l’autorité de princes d’origine grecque, avec la monarchie des Ptolémées (305-31), pour être finalement incorporée à l’Empire romain (bataille d’Actium, 31 av. J.-C.). Par cette très longue histoire et sa diversité, l’Égypte offre à l’historien des institutions un champ d’investigation incomparable. Malheureusement, son droit reste très mal connu. L’Égypte ne nous a laissé aucun recueil juridique et à peu près aucune loi (quelques dispositions de droit pénal et surtout un papyrus non encore publié datant du IIIe siècle avant notre ère, mais reflétant un droit antérieur). Il y eut cependant des lois, que la légende fait remonter jusqu’à Ménès, le fondateur de la première dynastie (3000 env.) et, au premier millénaire, des codifications, dont les Grecs ont conservé le souvenir sous Bocchoris (720-715), Psammétik Ier (663-609), Amasis (568-528), Darius (519-505).

Notre connaissance du droit égyptien repose donc essentiellement sur des documents de la pratique, rares pour l’époque ancienne, abondants avec les papyrus démotiques, surtout après le Ve siècle avant J.-C. Des récits, des documents figurés, des «livres de sagesse» permettent aussi de restituer certains aspects de la vie juridique. La rareté des documents juridiques, l’insuffisante précision des autres sources d’information ne permettent pas de restituer le droit égyptien et l’on n’aperçoit, souvent de façon imparfaite, que les structures sociales et la vie familiale.

Structures sociales

L’autorité absolue du pharaon fait de tous les habitants de l’Égypte des sujets. Seuls participent à la vie politique et à l’administration publique ceux qu’appelle ou retient la confiance ou la faveur royale. Dès la plus haute antiquité, le personnel de gouvernement et d’administration est important. Les recensements, les contrôles, les enquêtes exigent un personnel abondant et hiérarchisé. Sa tâche essentielle est d’assurer la mise en valeur de la mince bande fertile de la vallée du Nil et celle du Delta, et de percevoir redevances et impôts au profit du pharaon. Favoris et fonctionnaires sont rémunérés par le pharaon, le plus souvent sous forme de concessions de terres, sur lesquelles ils s’érigent en maîtres indépendants, créant ainsi un régime seigneurial qui mine l’autorité du souverain. Ils jouissent également de privilèges (exemptions fiscales, juridictions spéciales). À certaines époques (Ve et VIe dynasties par exemple), l’hérédité des fonctions et des privilèges s’établit.

Le clergé tient une place considérable et, à certaines époques, il met la royauté en tutelle. Les temples possèdent, en effet, d’immenses domaines fonciers, régulièrement accrus par les libéralités du pharaon et de simples fidèles. D’autre part, la désignation du pharaon fournit au clergé, et surtout au grand prêtre d’Amon, depuis le Moyen Empire (à la fin du IIIe millénaire), l’occasion de jouer un rôle politique parfois décisif. En effet, si la transmission du pouvoir obéit en général au jeu du principe de la succession dynastique, la désignation de l’élu requiert une manifestation de la divinité, dont les prêtres sont les interprètes. Ce qui fit parfois du grand prêtre d’Amon un «grand électeur».

La masse de la population est constituée par la foule des petits paysans libres, des artisans des villes, des commerçants. Beaucoup travaillent pour le pharaon, les temples, les grands propriétaires dont ils dépendent en fait. Leur situation est souvent misérable. Mais l’Égypte ignore un système de castes qui maintiendrait chaque individu dans sa condition. L’énergie, l’habileté permettent une promotion sociale qui conduit aux plus hauts emplois. Un fonctionnaire peut ainsi faire graver sur une stèle votive: «J’étais de ceux dont la famille était pauvre et la ville petite, mais le roi me reconnut [...] et m’introduisit parmi les princes.» L’esclavage n’est pas attesté pour l’Ancien Empire (3000-2350). Mais les prisonniers de guerre, dont la situation ne diffère guère de celle des esclaves, sont utilisés par le pharaon à l’exploitation des mines, des carrières, des domaines royaux et aux grandes constructions. Si l’existence des esclaves reste douteuse pour le Moyen Empire, elle est certaine pour le Nouvel Empire et persiste à l’époque saïte. Les esclaves sont fournis par la guerre et par les marchands qui approvisionnent des marchés spécialisés. Mais on n’a pas d’exemples d’esclaves égyptiens. Le nombre des esclaves ne fut d’ailleurs jamais considérable; la plupart appartenaient au roi. On connaît quelques cas d’affranchissement. L’esclave semble avoir bénéficié d’une certaine protection contre les excès d’autorité de son maître.

Organisation familiale

Aussi loin que remonte notre information sur la vie familiale, elle témoigne d’une organisation très évoluée. C’est que l’Égypte avait un long passé lorsqu’elle apparaît dans l’histoire au début du IIIe millénaire. Sous l’Ancien Empire, l’individualisme triomphe. Puissance paternelle et autorité maritale sont limitées. La femme et les enfants jouissent d’une capacité juridique propre. Mariée ou non, la femme peut passer des actes juridiques, plaider, servir de témoin dans les actes. Les conditions et les formes du mariage sont mal connues pour l’époque ancienne, car on ne dispose pas de témoignages précis antérieurs à la XXe dynastie (XIIe s. av. J.-C.). Mais le mariage semble bien avoir été, dès l’époque ancienne, monogame. Il l’est en tout cas, malgré l’affirmation contraire de Diodore de Sicile, à l’époque récente. Si le mariage entre frère et sœur n’est attesté que tardivement, et essentiellement dans la famille royale, les mariages entre cousins, ou oncle ou nièce, sont en revanche fréquents. Le mariage est consensuel, l’accord intervenant entre le futur mari et le père de la femme (ou même celle-ci, au moins depuis la XXVe dynastie). Les témoignages littéraires permettent d’affirmer la réciprocité des devoirs et des droits à l’intérieur de la famille, et souvent une remarquable douceur de mœurs. L’exposition des nouveau-nés, que la Grèce pratiquera largement, n’est pas confirmée pour l’Égypte (le cas de Moïse s’explique par l’ordre du pharaon de faire mourir tous les nouveau-nés mâles des Hébreux). Le divorce est signalé par des documents depuis le milieu du VIe siècle. Il ne requiert pas de formes spéciales et il est souvent ouvert à la femme comme au mari. D’une façon générale, la situation de la femme, en Égypte, est très supérieure à celle que lui accorderont les droits de la Mésopotamie ou de la Grèce.

Le droit successoral est dominé par deux principes: celui de l’égalité dans la succession ab intestat, qui ignore les privilèges de masculinité et d’aînesse. Le droit d’aînesse apparaîtra sous le Nouvel Empire en raison d’une conception plus autoritaire et plus hiérarchisée de la famille. Cette évolution s’explique par la responsabilité du père ou, à son défaut, du fils aîné pour les prestations dues par la famille au pharaon. Les actes de disposition, assez profondément différents du testament romain, sont attestés au moins depuis la IVe dynastie. Ce sont des actes purement patrimoniaux, dépourvus de tout caractère religieux. Ils restent révocables jusqu’au décès du disposant et ne produisent effet qu’à cette date. Au cours de l’Ancien Empire, on voit de grands personnages constituer d’importantes fractions de leur patrimoine en domaines inaliénables et indivisibles, affectés au culte du défunt. Ces fondations culturelles témoignent d’une technique juridique déjà fort savante, mise au service de préoccupations religieuses. Le testament, qui avait persisté jusqu’à la fin du Nouvel Empire, semble avoir disparu dans la période troublée du début du Ier millénaire, par suite d’une plus grande rigidité des structures familiales. À l’époque saïte, la transmission des biens à un héritier de son choix exige une adoption préalable qui le fait entrer dans le cadre familial.

Organisation judiciaire

L’absolutisme du pharaon fait de lui le maître de la justice. Dieu ou fils de Dieu, il dit le droit. Mais cette toute-puissance n’est pas source d’arbitraire. Sous l’Ancien Empire, le pharaon est présenté comme exprimant le droit que lui inspire la déesse de la justice et de la vérité. Des textes du Moyen Empire insistent sur l’obligation, pour le pharaon, de respecter le droit. L’organisation judiciaire est mieux connue à partir du Nouvel Empire (XVIe-XIe s.). Le roi reste juge suprême. Lui seul peut prononcer une peine de mutilation. À côté de lui, le vizir, une cour de douze juges, des tribunaux locaux assurent la justice séculière. Mais le clergé prend une place croissante dans l’administration de la justice. Les carences de juges séculiers et le développement de l’ordalie sous les XIXe et XXe dynasties contribuent aux progrès de la justice sacerdotale. Vers 1250, une cour sacerdotale est créée à Thèbes. Elle devient rapidement la cour suprême du clergé à qui elle assure un privilège de juridiction. Dès l’Ancien Empire, la procédure est écrite (introduction de l’instance, exposé des moyens de défense, etc.), mais les débats ont lieu oralement. Écrits, témoignages, serments, ordalies constituent les principaux modes de preuves.

2. Babylone

À la différence de l’Égypte, la Mésopotamie a fourni une documentation juridique considérable, qui s’échelonne sur une période aussi longue que celle de l’histoire de l’Égypte ancienne. Ce droit, conservé par des textes en écriture cunéiforme, est pour cette raison souvent appelé «droit cunéiforme». L’aire géographique du droit cunéiforme dépasse d’ailleurs très largement la Babylonie et même la Mésopotamie. Elle s’étend jusqu’à l’Asie Mineure et aux côtes orientales de la Méditerranée. Par suite du hasard des fouilles, notre information est très inégale selon les régions et les époques. La Mésopotamie et surtout Babylone bénéficient, ici, d’une situation privilégiée.

On dispose en effet pour Babylone et, de façon plus limitée, pour certaines cités de la basse Mésopotamie de deux catégories de documents juridiques: des textes législatifs qualifiés traditionnellement, mais un peu abusivement, de codes (fragments du «code» d’Ur-Nammu, fondateur de la IIIe dynastie d’Ur vers 2080; fragments de la législation de la ville d’Ešnunna, vers 1950-1900; fragments du «code» de Lipit-Ištar, roi d’Isin vers 1875, et surtout stèle du Louvre conservant le «code» de Hammurapi, 1728-1686) et d’innombrables tablettes dont le déchiffrement est loin d’être achevé, et qui font connaître des actes de la pratique, ventes, donations, contrats de prêt, de louage, décisions judiciaires. Cette documentation se poursuit, non sans lacunes, depuis la Ire dynastie babylonienne (1810 env.) jusqu’au Ve siècle avant notre ère. Elle témoigne, compte tenu d’inévitables différences de détail au cours de cette longue période, d’une remarquable stabilité de l’organisation sociale et des règles de droit.

Les rois législateurs (Ur-Nammu, Lipit-Ištar, Hammurapi) invoquent le patronage des dieux. Il est possible que, dans la conception la plus ancienne, la loi soit apparue comme l’œuvre des dieux. À l’époque historique, c’est le roi qui «exerce» le pouvoir législatif, mais sous l’inspiration des dieux. La stèle de Hammurapi montre le dieu Soleil qui dicte la loi au roi et celui-ci déclare dans l’épilogue de son code: «C’est moi auquel Samaš a fait présent des lois.» Du fait de l’origine du pouvoir royal, la source du pouvoir législatif est nécessairement divine. Mais le code de Hammurapi n’est pas une loi religieuse. C’est un «règlement de paix» qui doit faciliter la fusion des peuples de Sumer et d’Akkad que, par la conquête, le roi a réunis sous son autorité. L’œuvre est d’ailleurs composite, mêlant dispositions anciennes, de traditions akkadienne ou sumérienne, et règles nouvelles. Malgré son ampleur, le «code» (et c’est pourquoi ce terme est abusif) ne règle pas tout le droit. Sur certaines matières, il omet les dispositions fondamentales, supposées connues de tous, pour ne préciser que des points de détail; mais il couvre les domaines les plus importants du droit: organisation judiciaire, procédure, droit pénal, régime foncier, contrats, droit de famille; à plusieurs reprises, il invoque des principes de justice pour protéger les faibles contre l’arbitraire et assurer la liberté de chacun; cependant, le droit pénal se montre plus répressif qu’en Égypte.

Structures sociales

La société babylonienne fait preuve, à travers les siècles, d’une étonnante stabilité. Elle ne connaît pas, comme l’Égypte, des alternances de périodes, d’individualisme et de féodalité. Elle est, d’autre part, caractérisée par l’inégalité des conditions sociales, même parmi les hommes libres. Fonctionnaires du palais et prêtres constituent un groupe de privilégiés. L’exploitation des domaines royaux, largement pourvus par les conquêtes et les confiscations, est confiée à des intendants. D’agents domaniaux, ceux-ci devinrent peu à peu des fonctionnaires chargés de percevoir les impôts et de rendre la justice. D’autres fonctionnaires, au palais et dans l’ensemble du pays, assurent les tâches administratives. Ce personnel est le plus souvent rémunéré en terres. La concession, prélevée sur les domaines royaux, n’est pas définitive. Le bénéficiaire ne peut l’aliéner, et à son décès les biens font retour au roi. Mais une hérédité de fait, puis de droit, s’instaure peu à peu. Le service militaire est également rémunéré par des concessions foncières (ilkum ) où l’on a parfois voulu voir des fiefs. Mais ces fiefs seraient en tout cas profondément différents des fiefs de l’Occident médiéval. Les temples, nombreux dans chaque cité, ont bénéficié des libéralités pécuniaires et de la protection du roi. Les voleurs des biens du temple encourent la peine de mort ou du moins une lourde amende. Avec leurs domaines fonciers, leurs magasins, leurs trésors, leurs tenanciers, leurs artisans et leur personnel d’intendants et de scribes, les temples constituent un monde économique à part. Leurs ressources considérables leur permettent des prêts à des taux avantageux, des avances de grains pendant les famines. Le code de Hammurapi ne parle pas des prêtres, mais consacre plusieurs dispositions aux prêtresses, dont il distingue plusieurs catégories. Ces prêtresses peuvent se marier. Elles vivent en recluses ou dans le monde. Les fonctions religieuses sont sources de profit. Aussi constituent-elles des valeurs matrimoniales, transmissibles après la mort, cessibles de façon définitive ou pour un temps bref. Les prêtres ont joui d’un privilège de juridiction qui les faisait relever de cours spéciales. Mais ces tribunaux se sont progressivement effacés devant la justice royale.

La majorité de la population est composée d’hommes libres (awîlum ), propriétaires fonciers, paysans, artisans, dont l’habileté et le sens artistique ont été révélés par des fouilles. La richesse exceptionnelle du sol permet une forte densité de population. Celle-ci se partage entre exploitants ruraux et citadins. Les villes, nombreuses, constituent des centres d’activité politique, économique et religieuse. Sur les confins du désert ou de la steppe, des pasteurs nomades vivent de l’élevage des chèvres, des moutons et des chameaux. Les hommes libres, surtout les citadins, participent à la vie municipale. Ils siègent au collège des Anciens, qui exerce certaines attributions administratives et judiciaires. Ils gèrent les finances de la ville et dirigent une police locale.

L’originalité de la société mésopotamienne réside dans l’existence d’une classe sociale intermédiaire, celle des muskenum (mot qui, par l’arabe, a donné en français «mesquin»). Cette catégorie sociale signalée par les lois d’Ešnunna et le code de Hammurapi remonte à une haute antiquité dans la société sumérienne. On a beaucoup discuté de son origine et de sa nature. Tour à tour, on y a vu des demi-libres, des serfs, des affranchis, des clients, des pauvres, des officiers du palais. L’infériorité de leur statut juridique inciterait à les considérer comme une sorte de plèbe composée d’éléments disparates, anciens esclaves, hommes libres déclassés, peut-être aussi des étrangers. Les muskenum , à la différence des esclaves, sont sujets de droit. Ils peuvent se marier, avoir des biens meubles et immeubles que la loi protège de façon spéciale. Ces dispositions ne sont d’ailleurs peut-être pas la marque d’une faveur spéciale accordée aux muskenum. Elles s’expliquent, au contraire, par l’infériorité d’une condition sociale qui les expose spécialement aux entreprises des autres hommes libres. Cette infériorité se marque plus nettement encore dans le système répressif. Pour une même infraction, si la victime est un awîlum , la répression est plus sévère que si c’est un muskenum. En revanche, dans la tarification des honoraires médicaux, le muskenum , tenu pour plus pauvre, est avantagé: pour des soins identiques, il paie moins que l’homme libre.

Le dernier groupe social est constitué par les esclaves. Ceux-ci sont plus nombreux qu’en Égypte. Les sources de l’esclavage sont en effet nombreuses: avant tout, la guerre et la naissance de parents esclaves, mais aussi l’achat à des marchands, la vente des enfants par leur père, certaines condamnations pénales. La réduction en servitude du débiteur insolvable, attestée par les actes assyriens de Kultépé, ne semble pas avoir été pratiquée à Babylone. Le débiteur peut donner ses enfants en gage par une sorte de vente à temps et le créancier qui a saisi la femme et les enfants du débiteur pouvait sans doute les vendre également pour un temps.

L’esclave appartient à son maître et souvent il est marqué. Le maître dispose de l’esclave, qui représente une valeur patrimoniale. Il peut le vendre, le donner en gage. Il a des droits sur les enfants nés d’un de ses esclaves. Il est indemnisé du préjudice matériel que lui cause la mort accidentelle de l’esclave. Mais la condition servile est, à Babylone, moins dure qu’elle ne le sera dans la Grèce classique ou dans la Rome impériale. L’esclave peut se marier, même avec une femme libre. Il a donc une famille légitime. Il est autorisé à plaider en justice et peut passer certains actes juridiques. La situation de fait des esclaves dépendait d’ailleurs et de la personnalité du maître et de la tâche qui leur était confiée. Certains esclaves exerçaient des métiers analogues à ceux des hommes libres (boulangers, tisserands, etc.) et ils avaient parfois d’autres esclaves à leur service comme apprentis.

Par son travail ou la générosité de son maître, l’esclave parvenait parfois à se constituer un pécule qui lui permettait d’acheter sa liberté; ou bien, il empruntait au temple pour obtenir son affranchissement. L’affranchissement, accordé gratuitement ou contre argent par le maître, s’opérait par déclaration au tribunal ou par contrat privé. Une cérémonie religieuse de purification accompagnait les formalités juridiques. L’affranchissement était acquis de plein droit dans trois cas: les enfants nés d’un homme libre et d’une de ses esclaves étaient affranchis automatiquement au décès de leur père; l’épouse ou les enfants du débiteur, vendus ou engagés, étaient libérés après trois ans; l’esclave babylonien, racheté à l’étranger par un tiers, était libéré en revenant dans son pays.

La famille

La place importante faite au droit familial dans le code de Hammurapi (§§ 127 à 195, soit près du quart du code) permet d’avoir une connaissance assez complète de l’organisation de la famille à l’époque de la Ire dynastie babylonienne. La rencontre de traditions sumériennes et sémitiques explique le caractère parfois composite de ces dispositions.

La famille repose principalement sur le mariage. Celui-ci est théoriquement monogame. Mais le code autorise des épouses secondaires, qu’il distingue de la simple esclave à laquelle l’épouse stérile peut demander de donner un enfant à son mari. Cette pratique était courante également chez les Hébreux, comme l’atteste la Bible, et à Nuzi. Les épouses secondaires se trouvent dans une situation inférieure par rapport à la femme de premier rang, mais leurs enfants sont tenus pour légitimes, au moins lorsqu’il n’y a pas d’enfant né de l’épouse principale. Ainsi la naissance d’enfants qui assurent la continuité de la famille apparaît comme la fin principale du mariage. Si la différence de condition sociale n’est pas un obstacle au mariage, la parenté en ligne directe – et peut-être en collatérale jusqu’à un degré inconnu – constitue un empêchement. Articles du code et actes de la pratique font connaître les modes de conclusion du mariage. Celui-ci est une affaire de familles et c’est souvent le père qui décide du mariage de sa fille, voire de celui de son fils. Le rôle de la mère de la jeune fille, signalé dans les lois d’Ešnunna, n’est plus mentionné par le code de Hammurapi. Mais la pratique montre que le père n’est pas toujours le maître du mariage de ses enfants. Le futur mari décide souvent de son mariage. On a abusivement qualifié de fiançailles (par un emprunt au vocabulaire romano-canonique qui se réfère à un tout autre régime de conclusion des mariages) un accord passé entre le futur mari (ou ses parents) et les parents de la future épouse, accompagné du versement d’une somme au père de celle-ci, la tirhatu. Il s’agit en réalité d’un premier stade. La rédaction d’un écrit, attesté dès la IIIe dynastie d’Ur (env. 2080 av. J.-C.), accompagne ce premier temps. L’écrit n’est pas une simple preuve du mariage. Il est nécessaire à sa validité. Il précise que la femme est prise pour épouse, fixe les libéralités qui accompagnent le mariage, prévoit des peines en cas d’infidélité des époux (plus sévères à l’égard de la femme). La rédaction de l’écrit et la remise de la tirhatu sont déjà une étape constitutive du mariage, qu’achèvera la remise de la femme au mari. Dès ce premier temps, le mari est qualifié de «maître de la femme» et l’atteinte à l’honneur de la future épouse est punie de mort.

Le mariage est accompagné de libéralités dont l’interprétation a fait l’objet de multiples controverses: donation du futur mari (ou de ses parents) au père de la femme (ou parfois à la femme elle-même), le plus souvent assez modeste; libéralité plus importante en meubles ou en immeubles, faite également par le mari à sa femme, et qui doit assurer le nécessaire à la femme et aux enfants en cas de prédécès du mari (le nudunnû ). Étant donné le but de cette libéralité, elle n’est exécutée qu’au décès du mari, et la femme n’a que la jouissance des biens, qui, à son décès (ou si elle se remarie), passent aux enfants. Enfin, les parents de la femme lui constituent en général une dot, la seriktu , celle-ci tenant lieu de part successorale. La femme en est propriétaire, mais ne peut l’aliéner, car elle doit passer aux enfants.

L’importance de ces libéralités se retrouve dans d’autres législations et semble caractéristique du mariage sémitique. Mais les dispositions multiples qui tendent à assurer la transmission de ces libéralités aux enfants, sans être l’apanage du droit babylonien, prennent dans ce droit une place qui contribue à lui donner un caractère très original.

De nombreuses dispositions du code de Hammurapi précisent la condition de la femme mariée et les rapports des époux. La femme mariée a une pleine capacité juridique, et un régime de communauté tient les deux époux pour responsables des dettes postérieures au mariage. À défaut du père, l’autorité sur les enfants appartient à la mère ou au frère aîné.

La dissolution du mariage par divorce est possible. Le mari peut répudier sa femme sans avoir à faire valoir une juste cause et la répudiation se fait par la simple remise d’un écrit. Sauf en cas d’adultère, la femme répudiée reprend sa dot et les contrats de mariage prévoient fréquemment une indemnité pour répudiation qui peut freiner quelque peu l’arbitraire du mari. La femme ne peut divorcer sans juste cause, sous peine d’être punie de mort. Si elle est maltraitée par son mari, elle peut demander au juge l’autorisation de le quitter. L’inégalité des époux devant le divorce se retrouve pour la répression de l’adultère. Seul celui de la femme est réprimé. Il est puni de mort, mais le mari peut pardonner, faculté que lui refusera le droit romain classique.

L’adoption fut largement pratiquée par les Babyloniens et cela dès une haute antiquité. Elle permet de suppléer à l’absence d’enfant né du mariage. Mais elle intervient aussi fréquemment en présence d’enfants. Elle s’opère par rédaction d’un acte passé entre le père (ou la mère) adoptif – ou les deux époux ensemble – et celui qui avait autorité sur l’adopté – ou cet adopté lui-même s’il n’a plus de famille. La fréquence de l’adoption, en Mésopotamie, s’explique par les multiples fins qu’elle permettait d’atteindre. Tantôt c’est l’intégration complète de l’adopté à la famille, lorsqu’il est pris «en qualité d’enfant». Tantôt il n’est pris qu’«en qualité d’héritier». Il recueillera alors les biens, mais n’est pas soumis à la puissance de l’adoptant. Dans d’autres cas, l’adoption permet de réaliser un affranchissement, ou le mariage d’une jeune fille, ou encore tient lieu de contrat d’apprentissage.

Le régime successoral, régi surtout par la coutume, ne fait l’objet que de dispositions législatives fragmentaires qui, sans exposer le droit successoral dans son ensemble, se bornent à régler les questions discutées ou à introduire sur certains points des innovations. La succession appartient normalement aux fils, qui ne peuvent être exhérédés que pour fautes graves et après décision de justice. Héritier naturel, le fils recueille les biens de plein droit. L’aînesse, que ne signale pas le code de Hammurapi, est attestée à Mari, à l’époque de la première dynastie babylonienne. Le droit successoral des filles est incertain. Le plus souvent, la fille recevait une dot qui tenait lieu de part successorale. À défaut de dot, la fille partageait la succession avec ses frères. À défaut d’enfant, les petits-enfants viennent à la succession. S’il n’y a pas de descendants, les biens sont dévolus aux collatéraux (frères ou, à défaut, oncle paternel) qui ont une situation inférieure en ce sens qu’ils ne sont que des successeurs aux biens, non des héritiers, continuateurs de la personne du défunt. Les termes d’un acte de Lagaš, «puisqu’il n’y a pas d’héritier, son frère recueille les biens», sont caractéristiques à cet égard.

Le droit babylonien ne connaît pas, à l’époque de la Ire dynastie, un véritable testament. L’appel d’un étranger à la succession se fait soit par adoption, soit par un contrat de rente viagère.

Le régime des biens et le droit contractuel

Très riche sur le droit familial, le code de Hammurapi contient aussi de nombreuses dispositions relatives aux biens et aux contrats. Il révèle une société très évoluée, connaissant la propriété individuelle des immeubles et des meubles, à côté de celle des temples et du palais, et peut-être de quelques traces de propriété familiale. Dans cette société commerçante, la vente est fréquente et la propriété foncière est librement aliénable. Le louage de choses ou de services, l’affermage des domaines ruraux, le prêt, la société, sont largement pratiqués et minutieusement réglementés par la loi.

Organisation judiciaire

La justice babylonienne fut sans doute exercée d’abord par des prêtres. Mais dès le code de Hammurapi, la prépondérance d’une justice royale laïque s’affirme. Celle-ci est confiée à des professionnels et, en dernière instance, au roi. Certaines affaires sont jugées par les notables des villes. Peut-être s’agit-il là d’une survivance d’une antique juridiction des hommes libres qui aurait précédé la justice du roi. Le code de Hammurapi fournit une ample documentation sur la procédure et le droit pénal. Le système des preuves est très développé. Témoignages, serments, ordalies sont pratiqués. Mais la place considérable que tient déjà l’écrit est un nouveau signe de la maturité juridique dont témoigne le droit babylonien dès l’époque de Hammurapi.

Le souci d’une bonne justice est affirmé à plusieurs reprises: annulation des sentences partiales, destitution et lourdes amendes punissant la vénalité des juges, etc.

Le droit pénal reste très rigoureux. Les législations d’Ur-Nammu et d’Ešnunna gardent quelques traces de la vengeance privée, telle la peine de mort sans jugement préalable dans quelques cas graves, mais appliquent plus souvent le régime des compositions pécuniaires. Le code de Hammurapi marque parfois un progrès, par exemple en tenant compte de l’intention coupable. Mais il reste sévère. La peine de mort est souvent prévue. Le talion persiste. Les mutilations sont fréquentes. Quant aux sanctions pécuniaires, elles sont fixées par la loi sans laisser au juge aucun pouvoir d’appréciation. Elles tendent à la fois à réparer le préjudice subi par la victime et à faire en outre subir au coupable un préjudice de même valeur, ou parfois multiplié par deux, trois ou même dix.

3. Le droit hittite

Population d’origine indo-européenne, les Hittites ont occupé la région centrale de l’Asie Mineure au cours du IIe millénaire, et l’époque de la plus grande puissance de la royauté hittite se situe entre le milieu du XIVe siècle et le début du XIIe siècle. L’archéologue Winckler a retrouvé dans les ruines de la capitale hittite, Hattusas (près de l’actuel village de Boghaz Köi, à l’est d’Ankara), des fragments correspondant à deux tables de textes législatifs, que l’on désigne traditionnellement sous le nom de «code hittite». En réalité, il s’agit d’un ensemble composite de dispositions juridiques de nature et d’époque différentes. Leur but n’était pas de donner un recueil complet des règles de droit, mais de préciser les points contestés ou d’introduire des innovations. Pour cela, il semble que le rédacteur des tables ait puisé dans la tradition coutumière, la législation royale, les décisions judiciaires. Les multiples copies faites de ce texte prouvent l’autorité dont il jouissait. Mais le «code hittite» ne semble pas avoir fait l’objet d’une promulgation officielle. Il s’agit probablement d’une œuvre de scribes juristes. Sa date reste discutée: on la situe au XIVe ou au XIIIe siècle avant notre ère.

Ce code fournit de précieuses indications sur le droit hittite. Mais on n’a retrouvé aucun document de la pratique qui complète notre information sur la «vie» du droit. C’est une infériorité grave par rapport à notre connaissance du droit babylonien.

Structure sociale

Comme à Babylone, la société repose sur un principe d’inégalité des conditions juridiques. La politique de conquête menée par plusieurs rois hittites confère à l’armée une place de choix. Des seigneurs, demeurant auprès du roi ou en province, fournissent des contingents militaires qu’ils équipent à leurs frais, mais reçoivent en retour une part du butin. D’autres troupes, prises dans la classe moyenne, sont rémunérées par une concession de terre royale, qu’elles exploitent contre une redevance. La terre reste en principe au roi, mais la concession est transmissible. Un clergé nombreux et varié assure le culte et administre l’importante richesse des temples. Son statut est mal connu. La classe moyenne est constituée par des artisans et une importante population rurale de petits propriétaires et de fermiers. Le statut des esclaves reste obscur. La plupart d’entre eux sont des prisonniers de guerre, mais il existe aussi des esclaves hittites. La personnalité juridique de l’esclave est reconnue. Le code protège sa vie et son intégrité corporelle. Il autorise le mariage servile et même celui entre esclave et personne libre, et concède une certaine capacité patrimoniale à l’esclave. L’infériorité de ce dernier à l’égard de l’homme libre se marque par le moindre taux des compositions pour meurtre ou blessure d’un esclave, mais aussi par la réduction de moitié de l’indemnité que l’on exige de l’esclave par rapport à celle due par l’homme libre pour un même délit. Si plusieurs dispositions du code font preuve d’une certaine bienveillance à l’égard des esclaves, ceux-ci restent soumis à l’autorité de leur maître et leur insubordination peut être châtiée.

Le droit familial

Il est beaucoup moins bien connu que pour Babylone, car à l’absence de documents de la pratique s’ajoute le caractère très fragmentaire de la réglementation législative donnée par le code hittite. Les renseignements les moins incomplets concernent le mariage. La monogamie est probable, encore qu’elle ne soit pas observée par le roi. Les conditions de fond et de forme du mariage sont mal connues. Mais on sait que des libéralités accompagnaient cette cérémonie, et on retrouve ici certaines analogies avec ce qui se pratiquait à Babylone. Une somme (la kušata ), remise par le futur mari aux parents de la femme, rappelle la tirhatu babylonienne. Comme elle, elle sanctionne la non-réalisation de l’union conclue: les parents de la fiancée doivent la restituer au double, s’ils refusent de donner leur fille au mari; le fiancé perd la kušata s’il ne donne pas suite au projet de mariage. Une autre libéralité (l’assu ) consistait probablement en un don du mari à sa femme, analogue au nudunnû babylonien. Quant à l’imaru , sorte de dot constituée par le père de la femme, elle était propriété de celle-ci, le mari n’en ayant la jouissance que pendant le mariage. La condition juridique de la femme mariée est mal connue. Mais on sait que, selon un usage qui se retrouve en Assyrie, les époux pouvaient, au lieu de s’établir au domicile du mari, aller s’installer chez le père de la femme. L’adultère du mari n’était pas réprimé; celui de la femme permettait au mari de mettre à mort les deux coupables pris en flagrant délit. C’est un des rares cas où le code hittite tolère encore l’exercice de la vengeance privée. Le divorce existait et sans doute était-il permis par consentement mutuel (le paragraphe 31 le signale au moins pour le cas de mariage entre un homme libre et une esclave). Au décès du mari, la veuve était reprise comme épouse par un proche du mari, dont l’ordre était fixé par la loi: le frère du défunt, à défaut le père, l’oncle ou le neveu. Il s’agit là d’une sorte de lévirat, mais différent de celui que signalent la Bible et les lois assyriennes. On ignore à peu près tout des rapports entre parents et enfants, ainsi que de l’adoption, qui fut pratiquée au moins dans la famille royale.

Le droit pénal

Une grande partie du code (l’essentiel de la table II) lui est consacrée et les dispositions qui le concernent témoignent d’un système répressif déjà très évolué et moins rigoureux qu’à Babylone. Le principe de l’individualisation de la peine triomphe, sauf dans de rares exceptions de responsabilité de la famille ou de la ville. La peine tend à l’indemnisation de la victime autant qu’à la répression. La réparation pécuniaire ou en nature (reconstruction, remise en état de la plantation saccagée, etc.) l’emporte sur les peines corporelles. La peine de mort est plus rare qu’à Babylone et n’est pas accompagnée, comme en Mésopotamie, de supplices cruels.

4. Le droit hébraïque

Notre connaissance du droit hébraïque repose, sauf pour les derniers siècles avant l’ère chrétienne, presque uniquement sur la Bible. Le caractère composite de l’œuvre, l’incertitude qui subsiste sur la date des textes qui nous la font connaître rendent son utilisation délicate pour l’historien du droit. Il s’agit cependant d’une source de haute importance où les documents législatifs tiennent une place considérable (Décalogue transmis par l’Exode, XX, 2-17, et le Deutéronome, V, 6-21; «Code de l’Alliance», Ex., XX, 22 à XXIII, 33; «Seconde loi», Deut., XIII-XXVI; Lév.).

Structure sociale

Le livre de la Genèse décrit une société patriarcale qui pratique la polygamie. Le passage de cette société à celle de l’époque de la royauté, à partir de la fin du XIe siècle, est mal connu. Mais notre information est meilleure et plus sûre pour cette période de royauté. La société est alors composée en majorité d’hommes libres, fonctionnaires, scribes, artisans, propriétaires fonciers. Une partie de la population vit dans des villes, nombreuses mais petites (à l’exception de Jérusalem et de Samarie), mais l’élément rural est important. Le commerce, actif dans un pays de passage entre les côtes méditerranéennes et l’Arabie, la Babylonie ou la Perse, est pour partie monopole royal, lorsqu’il s’agit du grand commerce lointain, pour partie laissé aux étrangers – qui sont nombreux – lorsqu’il s’agit du commerce local. Sages et rabbins se montrent peu favorables à cette activité économique.

Les esclaves sont relativement peu nombreux. La plupart sont des étrangers, prisonniers de guerre ou acquis sur des marchés. L’Israélite peut être réduit en servitude soit à la suite de certaines infractions, soit parce qu’il s’agit d’un débiteur insolvable. Cette servitude est temporaire. Elle ne peut dépasser six années (Ex., XXI, 2-6; Deut., XV, 1-18). Après l’Exil, le Lévitique (XXV, 39-46) cherchera encore à atténuer la rigueur du sort fait au débiteur insolvable. D’une façon générale, d’ailleurs, la situation de l’esclave est moins mauvaise qu’elle ne le sera en Grèce ou à Rome. À la différence de l’esclave babylonien, l’esclave juif n’est pas marqué. Le maître qui fait périr son esclave sous les châtiments est puni. L’union servile est reconnue.

Le clergé tient une grande place dans une société profondément marquée par les préoccupations religieuses. Les prêtres, pris dans la tribu de Lévi, forment une classe de fonctionnaires cultuels hiérarchisés et de scribes, sous l’autorité du grand prêtre, qui ne se confond pas avec la personne du roi. Ils jouissent de privilèges comme l’exemption d’impôts, l’attribution d’une part du croît des animaux et du produit des récoltes. Les textes bibliques formulant ces privilèges seront invoqués au Moyen Âge pour justifier le statut privilégié du clergé chrétien. Dans certaines circonstances, et surtout dans le royaume de Juda, le clergé joua parfois un rôle politique important. En effet, le grand prêtre oint et couronne le roi. Parfois il le dépose (II Rois, XI) et, dans la lutte contre les pratiques idolâtres, il se heurte souvent à la royauté.

La famille

La polygamie, normale à l’époque des patriarches, persiste à l’époque monarchique. Des tendances monogames se feront jour progressivement et l’emporteront, sans entraîner cependant une condamnation formelle de la polygamie. Il ne faut d’ailleurs pas confondre la pluralité d’épouses légitimes et égales en droit, les concubines (souvent prises parmi les esclaves et dont les enfants, dans ce cas, ne succèdent pas) et le cas où, en l’absence d’enfant né de l’épouse légitime, celle-ci donne à son mari une esclave qui lui assurera une descendance. Les enfants nés de cette esclave sont considérés comme des enfants légitimes.

De multiples prohibitions tendent à empêcher, parfois sous menace de mort, les unions entre proches parents. Comme à Babylone, le mariage comporte d’abord un engagement du futur mari et du père de la jeune fille (elle-même et parfois sa mère sont également consultées), qu’accompagne le versement d’une somme, le mohar , cadeau qui, comme la tirhatu à Babylone, joue le rôle de clause de dédit. Dès ce moment, en effet, le mariage est engagé. Si l’une des parties renonce à l’union, elle s’expose à la perte du mohar (pour le mari) ou à sa restitution au double (pour les parents de la femme). Une dot et une donation du futur mari à sa future femme (la kethubak ) rappellent la dot et le nudunnû babyloniens. Il s’agit manifestement d’usages sémitiques communs (comme également la mahr arabe), qui n’ont d’ailleurs pas été sans influencer des peuples non sémitiques, tels les Hittites.

Le droit hébraïque connaît le lévirat , qui oblige la femme dont le mari est mort sans enfants à épouser un proche du mari. Le premier-né de cette nouvelle union sera tenu pour le fils du défunt. C’est au frère de «relever la maison de son frère». S’il ne le fait pas, il encourt la réprobation publique (Gen., XXXVIII, 8; Deut., XXV, 5-10). À défaut du frère, un parent plus lointain pouvait, au moins à l’époque ancienne, exercer le lévirat (Ruth, IV, 12-14). Cette coutume apparaît comme une manifestation d’une antique solidarité familiale très étroite. Avec l’affaiblissement de celle-ci, son usage devint moins rigoureux (le Deutéronome ne le prévoit que si «les frères demeurent ensemble») et tendit à disparaître.

Le divorce n’est autorisé qu’au mari et il s’opère par la simple expédition d’une lettre de répudiation. Il est possible dès lors que la femme «ne trouve pas grâce aux yeux de son mari». Cependant Malachie (II, 13-16) s’élève contre l’abus du divorce et, à l’époque du Christ, un courant rigoriste tendait à en limiter l’usage.

La situation de la femme est inférieure à plusieurs points de vue: d’abord du fait de l’impossibilité pour elle de demander le divorce, mais aussi par suite de la polygamie et parce qu’elle se voit souvent imposer un mari qu’elle n’a pas choisi; enfin seul l’adultère de la femme est réprimé. En revanche, la femme, mariée ou non, a une capacité juridique: elle peut passer des actes, avoir des biens en propre. Elle jouit d’un grand respect dans la famille, et – à la différence de la femme athénienne – elle est souvent associée aux décisions importantes. La Bible prescrit un égal respect à l’égard de la mère et du père, et rien ne permet de supposer que le mari ait eu le droit de vendre son épouse.

L’autorité paternelle est grande, mais elle ne comporte pas le droit de vie et de mort, et elle cesse à la majorité de l’enfant. La vente des filles, comme servantes, mais non celle des fils, est attestée (Ex., XXI, 7). Le droit successoral est mal connu. Il existe un privilège d’aînesse et de masculinité. Les filles n’héritent qu’à défaut de fils, mais priment les frères. Les enfants nés d’épouses secondaires ou d’esclaves semblent n’être appelés à la succession qu’à la suite d’une sorte d’adoption par leur père. Le droit de disposer des biens à cause de mort est attesté, mais ses modalités sont inconnues.

Organisation judiciaire et droit pénal

La juridiction fut d’abord confiée aux patriarches à l’intérieur de leur groupe. Entre groupes, les conflits relevaient de la vengeance privée, exercée par le groupe de l’offensé contre tout le groupe de l’offenseur. Avec la monarchie s’instaure une justice d’État, et les textes insistent sur l’obligation pour le roi d’assurer une justice équitable. La justice royale est en fait le plus souvent déléguée à une cour composée de lévites et de juges. Elle a une compétence civile, criminelle et religieuse. Un conseil des anciens, analogue à celui de la Babylonie, constitue une instance civile et criminelle inférieure.

Le juge n’est que l’interprète de la volonté divine. La sentence émane de Dieu par son intermédiaire; elle est un «jugement de Dieu».

Le droit pénal n’ignore pas le sentiment de vengeance, d’où les peines contre les animaux ou l’application du talion. Mais la peine répond aussi parfois à la nécessité d’expier une faute religieuse et à celle de réparer le préjudice causé. La répression suppose le plus souvent la culpabilité; le triomphe de l’individualisme sur l’antique solidarité du clan fit prévaloir les principes de la responsabilité individuelle et de l’individualisation de la peine. La répression pénale est moins sévère, moins barbare qu’à Babylone. La peine de mort par lapidation est prévue pour les fautes les plus graves contre la fidélité due à Dieu, la pureté, la vie du prochain.

Une minutieuse réglementation détermine les modes de preuve et leur autorité. Le témoignage, en particulier, est strictement contrôlé (qualité des témoins, pluralité des témoins, peines graves pour faux témoignages). Le serment prend une valeur toute spéciale dans une société profondément religieuse. Le refus de le prêter est tenu pour un aveu de culpabilité.

5. Le droit en Grèce

L’histoire de la Grèce antique s’échelonne sur deux millénaires. Son droit a sans doute beaucoup varié au cours de cette longue période et il ne s’est dégagé que progressivement de préceptes magico-religieux. Faute de documents suffisants, l’histoire du droit grec est impossible à retracer avec certitude et continuité. On ne peut évoquer ici les quelques informations dont on dispose pour l’époque ancienne et les controverses dont elles ont fait l’objet. Les poèmes homériques décrivent une société où le souci de justice (thémis ) tient une grande place et où déjà apparaissent des règles juridiques et des tribunaux chargés de les faire respecter. Mais on ne saurait entrer dans une étude où la chronologie est incertaine et où la part du réel et de l’imagination dans les textes poétiques est difficile à déceler. C’est pourquoi on se limitera au droit de l’époque classique, c’est-à-dire celui des Ve et IVe siècles avant J.-C.

Unité ou pluralité de droit

L’unité fondamentale du monde grec ne saurait être mise en question. Malgré des nuances parfois profondes, langue, religion, culture témoignent de cette unité. Mais la vie politique de la Grèce classique est caractérisée par un régime de petites cités indépendantes souvent rivales les unes des autres, maîtresses de leur régime politique, de leur législation, de leurs tribunaux. Le droit relève-t-il de l’unité du monde grec ou de la pluralité des cités et des peuples? Si nous connaissions bien le droit pratiqué dans les diverses régions de la Grèce, la réponse serait facile et sûre. Malheureusement, ce n’est guère que pour Athènes que nous disposons d’informations suffisantes et la question reste ouverte de savoir ce qui, dans ce droit, répond à un fond juridique commun ou au contraire reste original. L’opinion la plus répandue admet une certaine communauté juridique de la Grèce.

Structures sociales

Différence fondamentale avec les sociétés orientales envisagées plus haut, la société athénienne classique est essentiellement composée de citoyens, c’est-à-dire d’hommes libres qui, au lieu d’obéir en sujets aux ordres d’un souverain, participent à la vie politique et décident eux-mêmes de leur régime politique, de leurs relations extérieures, de leur législation. Tous les hommes libres athéniens, à l’exception des étrangers, même résidents («les métèques»), ont accès à l’Assemblée (ecclesia ). Les magistratures et l’accès au conseil (boulè ) ne sont limités que par des considérations de fortune, ou encore par le jeu du tirage au sort dans le cas du conseil et de certaines magistratures. À Athènes, ce régime démocratique a été poussé plus loin que dans aucune autre cité grecque. Il s’accompagne d’un régime d’égalité (isonomia ) qui veut que tous soient soumis à la loi, faite par la communauté de citoyens, et que cette loi soit la même pour tous.

En face des citoyens libres et des étrangers établis à Athènes, la population servile est peu nombreuse, beaucoup moins qu’elle ne le sera à Rome depuis la fin de la République. L’esclave est normalement fourni par la guerre ou l’achat. C’est donc le plus souvent un étranger, exceptionnellement un Grec: la servitude pour dettes fut abolie par Solon, au début du VIe siècle avant J.-C. Juridiquement, l’esclave n’est pas assimilé à une chose; c’est une personne; ainsi il peut acheter sa libération. Les abus d’autorité du maître, ses mauvais traitements sont réprimés. Mais si l’affranchissement est possible, il semble avoir été moins fréquent qu’à Rome et cela s’explique par le moindre nombre d’esclaves dont disposait chaque maître.

La famille

La famille athénienne classique est monogame. L’autorité du mari, théoriquement étendue, est en fait limitée par les mœurs. Cependant la situation de la femme est défavorisée. Elle est beaucoup moins mêlée à la vie politique et sociale qu’elle ne semble l’avoir été dans la société homérique, et surtout dans la société crétoise du milieu du IIe millénaire. La femme n’a pas de droits politiques et ne peut défendre ses droits en justice. Elle est toujours soumise à l’autorité d’un 羽福晴礼﨟, père, tuteur, mari ou fils (lorsqu’elle est veuve). Ce kúrios assiste la femme pour les actes juridiques, défend ses intérêts en justice, administre ses biens. Le père ou le tuteur décide du mariage de la jeune fille. L’autorité maritale comporte en principe le droit de correction. Toutefois les actes de mariage contiennent en général des clauses qui obligent le mari à bien traiter son épouse, à veiller sur elle et à lui assurer le nécessaire. Comme chez tous les peuples de l’Antiquité, l’adultère de la femme est seul réprimé.

Les droits du père, à l’égard des enfants, ne sont pas moins étendus. C’est d’abord celui d’accueillir ou de refuser le nouveau-né dans les jours qui suivent la naissance. Et l’abandon des nouveau-nés, prôné par les philosophes comme le moyen de garantir l’équilibre démographique de la cité, est largement pratiqué. Si la naissance en mariage légitime ne suffit donc pas à intégrer l’enfant au foyer, celui qui naît hors mariage (le 益礼礼﨟) n’a aucun lien juridique (succession) ou religieux avec la famille de son père. Mais il est rattaché à la famille de sa mère. Sa situation ne peut être améliorée, car le droit athénien ignore la légitimation. Le père dispose à l’égard des enfants d’un droit de correction, mais non du droit de vie ou de mort. Il peut, toutefois, chasser l’enfant du groupe familial ( 見神礼兀福羽﨡晴﨟).

Le mariage se forme par deux actes successifs. C’est d’abord un contrat ( 﨎塚塚羽兀靖晴﨟) passé entre le 羽福晴礼﨟 de la femme, qui la promet au futur mari, et ce dernier, qui s’engage à la prendre pour épouse. Ce contrat est souvent accompagné de la remise d’une dot constituée par le père de la femme. Le second acte consiste dans la remise de la femme au mari ( 﨎嗀礼靖晴﨟), qui peut avoir lieu soit immédiatement après le contrat, soit – lorsque celui-ci est intervenu à l’égard d’une toute jeune enfant – quand elle devient nubile. Des cérémonies religieuses et des réjouissances familiales accompagnent cette remise qui «parfait» le mariage. Elles peuvent servir de preuve du mariage, mais ne sont pas requises pour sa validité.

Les interdictions de mariage pour parenté sont beaucoup moins sévères que chez les Hébreux ou qu’à Rome. Elles s’étendent à tous les degrés en ligne directe. Mais en collatéral, le mariage n’est interdit qu’entre frères et sœurs de même mère. En fait, les mariages se concluent fréquemment entre parents pour conserver les biens dans la famille.

La situation de la fille épiclère ( 﨎神晴凞兀福兀), c’est-à-dire «jointe à l’héritage», seule survivante d’une famille, et non pas héritière, fait l’objet d’une réglementation particulière, car il faut éviter que par son mariage elle ne fasse passer le patrimoine dans une autre famille. Deux solutions sont possibles: ou bien la succession est réclamée par le plus proche parent, qui doit alors épouser la jeune fille; ou bien le père a désigné un successeur qui sera l’époux. Dans les deux cas, les biens vont à un mâle. Le mari, quel qu’il soit, n’aura que l’usufruit du patrimoine de la famille de sa femme, et les biens passeront aux enfants nés de cette union.

La faculté d’épouser un étranger – ou une étrangère – à la cité reste l’objet de discussions. De tels mariages furent pendant longtemps possibles; on a des exemples multiples et parfois illustres. Mais, en 451, un décret de Périclès, inspiré par le désir de limiter le nombre des citoyens, décida que seuls seraient citoyens les enfants nés de parents athéniens. Faut-il entendre par là que le mariage avec un étranger était nul et que l’enfant par conséquent ne pouvait être reconnu comme citoyen, ou simplement que ce mariage, valable en lui-même, présentait simplement le désavantage de ne pas assurer la citoyenneté aux enfants? Des dérogations individuelles ou collectives furent d’ailleurs accordées pour permettre les mariages entre membres de cités différentes (c’est le droit d’épigamie).

La dissolution du mariage résulte du décès de l’un des époux, de la réduction en esclavage – qui est très exceptionnelle – ou du divorce. Celui-ci est fréquent, il est ouvert aux deux époux.

L’adoption est connue. Elle sert surtout à garantir la transmission du patrimoine, à défaut d’enfant né du mariage. Elle fut d’autant plus utile que pendant longtemps le testament fut ignoré. Peut-être, d’ailleurs, le testament fut-il introduit par le biais d’une adoption.

Le régime successoral reste obscur. On ne dispose que de peu de textes juridiques, et notre principale source d’information est fournie par les plaidoyers des orateurs, surtout les onze discours d’Isée intégralement conservés. Le régime témoigne de l’imperfection de la technique juridique grecque, très inférieure – même à l’époque classique – à celle de Rome. Le régime successoral athénien classique fut établi par Solon en tenant compte de la structure sociale et des principes religieux. Il repose sur un système de parentèle et de masculinité. À égalité de degré, les filles ne sont appelées qu’à défaut de mâles. La succession est d’abord déférée aux descendants. Les fils la recueillent de plein droit, par un souvenir de l’antique conception du patrimoine familial. Les fils adoptés viennent à la succession avec les fils du sang. L’aîné n’est pas avantagé.

Le droit successoral des ascendants n’est pas clairement établi. Le plaidoyer d’Isée sur l’héritage de Philoctémon fait peut-être référence à un droit successoral du père à défaut de fils, mais l’interprétation du texte reste discutée. Peut-être ce droit remontait-il jusqu’au grand-père. Un droit successoral au profit de la mère ne transparaît dans aucun texte. De toute façon il ne pouvait être qu’exceptionnel qu’une succession remontât aux ascendants. À défaut de descendants, ce sont le plus souvent les collatéraux qui recueillent les biens. Le droit athénien appelait ici d’abord les collatéraux de la ligne paternelle, et à défaut ceux de la ligne maternelle. Dans chaque ligne, l’ordre était le même: le frère du défunt, ses ascendants; la sœur en concours avec ses enfants; l’oncle paternel, ses descendants; la tante paternelle, ses descendants. À défaut de ces collatéraux, si «la maison reste vide», l’archonte éponyme offrait les biens à celui qui acceptait de continuer le culte.

De bonne heure, il fut possible de faire échec à cette dévolution normale de la succession en adoptant, par un acte bilatéral, un étranger à la famille ou un parent plus lointain qui, devenu «fils», bénéficiait de son droit successoral. Une mesure importante fut prise par Solon. Malheureusement, l’imprécision des textes qui la signalent ne permet pas d’en déceler avec certitude la nature et la portée. L’opinion commune estime qu’il s’agit d’une «adoption testamentaire», acte unilatéral du disposant, ne produisant effet qu’à son décès et pouvant donc rester secret jusque-là. Une telle adoption, sans donner au bénéficiaire la condition d’un fils du vivant du disposant, ne l’introduit dans la famille que pour lui permettre d’hériter. On se rapprochait ainsi beaucoup d’un véritable testament ( 嗀晴見兀兀), qui existe au IVe siècle avant J.-C. au plus tard et devient fréquent dans la société individualiste de l’époque hellénistique. Mais ce testament, qui fait de l’héritier un continuateur de la personnalité juridique du défunt, n’est pas possible en présence d’un fils.

Le droit patrimonial et les contrats

Le droit athénien classique connaît la pleine propriété individuelle des meubles et des immeubles, librement aliénables. Le souvenir d’une propriété familiale ne subsiste que dans certaines particularités du régime successoral (la fille épiclère, le privilège de masculinité). La propriété foncière est un privilège des citoyens. Elle est refusée aux métèques. Si le droit grec connaît certaines formes de «démembrement du droit de propriété», par exemple l’emphytéose ou l’hypothèque, la théorie des droits réels y est beaucoup moins développée et beaucoup moins subtile qu’à Rome.

Dans une société où l’activité économique et les échanges étaient aussi intenses, le droit contractuel tenait nécessairement une place importante, mais la pauvreté des sources législatives et la rareté des documents de la pratique – du moins avant les papyrus de l’époque hellénistique – ne permettent pas de la définir avec certitude. Les contrats sont nombreux: vente, louage, société, prêt, contrat de travail, etc. Le régime des sûretés, personnelles ou réelles, est développé. La fréquence de la maxime selon laquelle «ce qui a été convenu doit être tenu» prouve que le principe du consensualisme était connu et sans doute régissait-il, au moins en partie, le droit des obligations. Il est d’autre part possible, mais non certain, que la théorie des vices du consentement, formulée par les philosophes grecs, ait été prise en considération par les juristes. Il est évident cependant que la technique du droit grec reste encore ici très inférieure à celle du droit romain.

L’organisation judiciaire

Le système judiciaire athénien des Ve et IVe siècles accorde au peuple une place considérable. Si l’ancien conseil de l’âge aristocratique, l’Aréopage, conserve quelques attributions judiciaires pour les crimes les plus graves (meurtre, blessure avec préméditation, empoisonnement, incendie, faux témoignage), la juridiction la plus importante est celle de l’Héliée, créée par Solon pour recevoir l’appel des sentences rendues par les magistrats. C’est un tribunal populaire de six mille membres tirés au sort parmi les citoyens de plus de trente ans volontaires pour remplir cette fonction. Au cours du Ve siècle, le tribunal fut divisé en dix cours de 501 membres (dikasterion ), le reste des membres formant un volant de suppléants. Selon l’importance de l’affaire, le tribunal était plus ou moins nombreux (souvent 201 membres pour les affaires privées, parfois plusieurs [dikasteria ] réunis, s’il s’agissait d’une affaire politique grave).

Juridiction d’appel à l’origine, l’Héliée absorbe peu à peu l’essentiel des compétences civile et criminelle. Elle connaît des affaires qui intéressent la cité et des causes des particuliers. C’est également devant elle qu’est déféré un crime politique non prévu par les lois. L’Héliée n’a pas de ministère public. La poursuite est engagée par un particulier, qui sera frappé d’une lourde amende et de la dégradation civique s’il n’obtient pas au moins un cinquième des suffrages. L’instruction est confiée à des magistrats spécialisés. C’est également un magistrat qui préside le tribunal. L’arrêt est rendu sur-le-champ, après vote, sans délibération. Chaque cour de l’Héliée, représentant le peuple, juge sans appel ni révision.

Les peines varient selon la nature du délit. Mais le système répressif tient compte de l’intention coupable, respecte le principe de l’individualisation de la peine – d’où, à la fin du Ve siècle, l’abandon des peines qui frappaient la famille, comme l’exil des descendants du coupable – et combine les mesures afflictives avec la réparation du préjudice subi par la victime.

Au IVe siècle, l’Héliée, comme l’ecclesia, sera surtout fréquentée par un petit peuple souvent besogneux et désireux de percevoir le maigre salaire ( 猪晴靖礼﨟) versé aux héliastes (cf. Aristophane, Les Guêpes ). Le tribunal n’échappera pas toujours à la corruption.

Il existe, en dehors de l’Héliée, d’autres juridictions. C’est ainsi que les magistrats exercent certaines attributions judiciaires en rapport avec leurs fonctions administratives. Une loi de 453-452 avant J.-C. institue des juges des dèmes. D’abord itinérants et rendant la justice dans divers lieux d’Attique, ces juges devinrent, à une date inconnue, sédentaires à Athènes. Leur compétence ne dépasse pas le taux modeste de dix drachmes. L’Héliée connaît en appel de leurs sentences.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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